Selon Laurent Lascols, expert de l'économie de l'environnement et directeur du Master Finances durables de l'Institut Supérieur de l'Environnement,
« Les acteurs financiers ont pris leur responsabilité pour accélérer la transition, mais ils doivent encore se saisir des différentes réglementations et former leurs collaborateurs pour sensibiliser et accompagner leurs clients ».
Dans un contexte où la finance se retrouve à la croisée des défis environnementaux et sociaux, les acteurs financiers sont confrontés à un impératif stratégique majeur : la décarbonation numérique. Alors que les initiatives réglementaires et environnementales impulsent un changement fondamental, comment les acteurs financiers s'adaptent-ils réellement à cette nouvelle ère de responsabilité numérique et environnementale ?
Contexte actuel : numérique et empreinte carbone
Le numérique, moteur de l'innovation financière, représente désormais 1/3 de l'empreinte des acteurs financiers. Toutefois, cette avancée technologique n'est pas sans conséquences. Une conclusion que Digital4better et Finance Innovation ont pu mettre en lumière dans le dernier livre blanc « Observation de la décarbonation des acteurs de la finance : Le Numérique Responsable au service des données ESG ». Les résultats sont percutants : le numérique contribue de manière significative à l'empreinte environnementale du secteur financier.
Ce virage crucial souligne l'importance vitale de l'intégration du Numérique Responsable dans les pratiques financières pour façonner un avenir plus durable. Une nécessité dont l'Union européenne s'est emparée depuis 2018, en rédigeant une variété de textes réglementaires.
On parle de doubles objectifs :
- Orienter les flux financiers vers une économie bas carbone, en alignement avec les exigences de l'Accord de Paris.
- Garantir une transparence accrue et un reporting de qualité des entreprises.
Cette pression réglementaire a catalysé le secteur financier, l'obligeant à accélérer la transition vers la décarbonation, à recruter des experts, à communiquer sur la transparence de leurs produits, et à évaluer minutieusement les actifs dans lesquels ils investissent.
Décarbonation numérique : Au-delà de la RSE
La décarbonation numérique ne se limite pas au cadre traditionnel de la Responsabilité Ssociale des Eentreprises. Les enjeux vont au-delà, s'inscrivant comme un critère de pérennité et de performance. Les scores ESG des plateformes web de plus d'une centaine d'acteurs financiers, ont démontrés une vision claire de l'empreinte actuelle du secteur en termes de numérique. Ils révèlent des disparités importantes, soulignant la nécessité pressante pour les organisations financières de s'emparer du sujet.
Cependant, les analyses mettent en lumière une réalité alarmante : la plupart des acteurs financiers estiment que leurs KPI et outils actuels ne sont pas fiables pour suivre leur performance RSE/IT.
Au-delà de l'empreinte numérique, la question de la gouvernance devient centrale dans le processus de décarbonation numérique. La gouvernance, pierre angulaire du changement, doit s'accompagner de la définition d'objectifs clairs, incluant la réponse à la réglementation nationale et européenne en termes de reporting extra-financier et la labélisation en tant qu'acteur engagé de la décarbonation numérique.
Défis et leviers : La voie vers la décarbonation
Malgré les défis, des acteurs majeurs du secteur financier prennent la parole. Si le manque de temps et la difficulté à prioriser la décarbonation numérique demeurent des préoccupations, on souligne qu'il est possible de donner vie à l'initiative en enclenchant des actions concrètes, notamment de sensibilisation.
« L'implication totale de chaque collaborateur est notre force motrice dans notre objectif de décarbonation numérique. » - Philippe Cormon, Directeur du développement commercial et du marketing de Dorval AM
La décarbonation numérique ne constitue pas uniquement un défi, mais une opportunité stratégique pour améliorer la performance globale des entreprises financières. En réduisant les coûts opérationnels et en optimisant l'utilisation des ressources numériques, les organisations renforcent leur rentabilité et leur position concurrentielle.
« En adoptant cette approche, nous ne nous contentons pas de réduire notre empreinte environnementale, nous créons également de nouvelles opportunités et métiers au sein de l'écosystème numérique." - Corinne Paillet, Responsable sobriété et Numérique responsable de Crédit Mutuel Arkéa
Au-delà des gains potentiels, cette étude souligne une chose : l'insertion dans un plan de transition numérique représente avant tout l'opportunité d'aligner valeurs défendues et actions concrètes, permettant aux acteurs financiers de se positionner comme des acteurs engagés, transparents et crédibles.
Stratégie financière et sobriété numérique
La problématique cible des acteurs de la finance est, en grande partie, la gestion de la data. Lors du sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris en juin dernier, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a évoqué la possibilité d'une taxe carbone mondiale. Une perspective qui soulève la question cruciale : combien d'entreprises financières seraient capables d'assumer un tel coût ?
Intégrer la sobriété numérique à la stratégie financière peut sembler paradoxal, surtout lorsqu'elle peut être perçue comme contraire aux objectifs de création de valeur. Cependant, dans un monde où l'énergie devient un produit de luxe, repenser le modèle économique devient urgent. La finance, en tant que gardienne des risques du bilan comptable des organisations, joue un rôle clé dans l'évolution vers un modèle plus vertueux.
RSE : Quels leviers ? Quelles réglementations ?
On dénombre un certain nombre de leviers significatifs de gains environnementaux se profilant sur les actifs numériques dans la finance, qui comprennent :
- Les normes Internationales : Des normes telles que l'ISO 14064, l'ISO 14069 et le GHG Protocol fournissent un cadre méthodologique essentiel pour mesurer et réduire l'empreinte carbone des actifs numériques.
- La taxonomie verte européenne : La taxonomie verte européenne émerge comme une boussole, guidant la transformation de l'économie vers un modèle plus sobre en ressources naturelles. Elle offre des critères clairs pour évaluer la durabilité des investissements et des activités financières.
- L’évaluation concrète : Les acteurs financiers sont confrontés à la nécessité d'évaluer concrètement leur empreinte carbone. Cela va au-delà des déclarations de bonnes intentions, exigeant des actions tangibles pour réduire l'impact environnemental.
Actuellement, une loi européenne est en élaboration, connue sous le nom d'Artificial Intelligence Act. Cette législation vise à garantir que les systèmes d'intelligence artificielle utilisés dans l'Union européenne soient sécurisés, transparents, traçables, non discriminatoires et respectueux de l'environnement. Il est à noter que, dans l'ensemble, le secteur financier gère mieux ces aspects par rapport à d'autres secteurs. Par exemple, les pratiques trompeuses, telles que les « darks patterns», sont moins courantes dans la finance que dans d'autres secteurs comme le e-commerce.
Un autre axe du Numérique Responsable est celui de l'empreinte sociale, qui s'attaque aux questions d'accessibilité et d'inclusion numériques. Les acteurs de la finance, notamment de l'assurance et de la mutuelle, ont tout intérêt à viser le plus grand nombre d'usagers numériques. Si le score moyen est de 2,3 sur 5, indiquant une maturité numérique responsable encore en développement, le secteur financier surpasse d'autres secteurs dans cette perspective, notamment chez les groupes bancaires et principaux assureurs.
La Transition numérique durable : un engagement collectif
La cible potentielle de réduction des gaz à effet de serre IT du secteur financier est relativement élevée, posant un défi considérable à chaque acteur. Ces objectifs redescendent sur le numérique, un domaine en croissance constante où le défi est d'autant plus important. La finance a un rôle clé à jouer dans cette transition numérique durable.
L'ensemble des fonctions de l'entreprise sont concernées, impliquant non seulement les équipes RSE mais également les équipes ESG ainsi que la Direction des Systèmes d'Information. La cohérence entre tous les acteurs rendra cette transition efficiente. L'IT constitue un excellent terrain de jeu pour unir RSE et numérique. Les données analysées portent sur plus de 100 acteurs de la finance, évaluées sur 417 analyse du cycle de vie de services numériques, assurant une base solide pour les conclusions tirées.
Fruggr, solution utilisée par l'ADEME pour mesurer et améliorer sa propre empreinte numérique, est également adoptée par des leaders tels que L'Oréal, La Poste, Danone ou encore Fnac-Darty. Dans le secteur financier, les deux tiers des grandes banques françaises utilisent cet outil, de même que des acteurs de l'assurance et des sociétés de gestion. La législation en matière de responsabilité numérique environnementale a, dans cette dynamique, incité les directions financières à faire l'état des lieux de leur système d'information pour l'adapter, l'améliorer voire le remplacer.
La finance traditionnelle se transforme pour embrasser de nouvelles formes de financement axées sur la solidarité, l'inclusion, l'éthique et la durabilité. Il est impératif de prendre conscience des enjeux environnementaux, sans se contenter de suivre la tendance mais plutôt en s'engageant activement à trouver des solutions. Les acteurs de la finance doivent anticiper les défis futurs, ajustant leurs modèles économiques pour rester alignées sur les exigences de durabilité. Les premiers à embrasser ces changements seront les pionniers d’un avenir où la responsabilité et la durabilité sont piliers de la réussite à long terme.
Vous souhaitez en savoir plus sur les enjeux d’un numérique plus responsable dans le secteur de la finance ? Alors téléchargez dès maintenant le livre blanc « Observatoire de la décarbonation des acteurs de la Finance » de Digital4Better en partenariat avec Finance Innovation.