Chaque année, les futures tendances de l’année pullulent. Nos médias de veille préférés tentent de décrypter les orientations du design pour les prochains mois. Mais, les tendances design partagées sont-elles un levier pour une conception plus responsable et moins énergivore de nos services numériques ? Ou, au contraire, des facteurs aggravants de l’obésité numérique ? Faisons le tour des principales tendances pour se poser la question.
1 - L’IA au service du design
Innovation plus que remarquée, l’intelligence artificielle vient bousculer l’ensemble de nos réflexions design et notre vision du métier. Nous ne sommes plus dans le faire mais dans le faire faire. La production est faite par cette intelligence et notre intelligence consiste à mettre les mots sur ce que nous avons en tête et guider cet assistant/producteur.
Création facilitée mais quels impacts ?
En effet concevoir une illustration avec DALL-E ou Midjourney (les plus connues des IA de conception visuelle, équivalent image de ChatGPT chez OpenAI) n’est cependant pas sans impacts environnementaux, sociaux et sociétaux. Premièrement, qui dit intelligence dit apprentissage. Pour pouvoir concevoir l’illustration correspondant à notre description, DALL-E a été formée sur plus de 12 milliards d’images et procède à des calculs très énergivores. Pas de mesure des impacts environnementaux précis, car les études s‘entrechoquent sur différents résultats. Mais ce que l’on sait, c’est que l’apprentissage statistique faut entrer dans la danse des datacenters, des équipements électroniques capables de mobiliser une puissance de calcul plus que conséquente et un réseau pour transmettre les informations jusqu’à nous. Chacune de ces composantes est émettrice d’impacts environnementaux divers : stress hydrique, consommation accrue de ressources abiotiques, consommation d’électricité, émission de CO2…
L’utilisation généralisée et massive de cette prouesse technologique a-t-elle alors sa place dans un futur aux ressources finies ?
D’un point de vue design, ses partisans affirment l’arrivée d’une grande aide qui repousse les limites pour les créatifs. De l’autre, certains craignent un grand remplacement et une perte de valeur pour leurs métiers. Cet outil a la possibilité d’ouvrir le champ des possibles, en laissant les créatifs imaginer et l’IA exécuter. Elle arrive même à reproduire des techniques de peinture de différentes époques ou style d’artiste, ce qui pose également la question des droits de propriété intellectuelle.
L’ouverture est immense. Seul le cadrage de son utilisation fera d’elle un « bon » ou un « mauvais » outil
2 - Des typos de plus en plus folles
Le boom des typographies extravagantes, audacieuses, spacieuses et imposantes continue. Nous continuons de vivre une belle période portée par les styles brutalistes et minimalistes s’ornant de typographies droites, strictes et sans-serif. Maintenant les lettres jouent et dansent sur nos écrans se parant des plus belles couleurs.
On adore et on recommande. Pourquoi ?
Car une belle typographie rayonnante peut illuminer des sites web sans les alourdir. Car on démontre qu’il est possible d’allier un design joyeux et éco-conçu. Le site Sam Fairbairn en est un bel exemple. Une typographie interactive et révélant le site tout en diminuant ses émissions de CO2 de 79% en comparaison avec un site « classique » (selon les calculs de lowww.directory).
Un bel univers retranscrit par une typographie peut également limiter l’ajout parfois inutile d’images. Une belle typographie porte l’attention sur le message lorsque certaines images ou animations peuvent (si trop utilisées ou mal adaptées) le brouiller. Mais il faut également choisir la bonne typographie, celle qui saura révéler votre identité mais également être garante d’une bonne lisibilité et accessibilité pour les usagers.
D’ailleurs saviez-vous que la Comic Sans est classée parmi les typos les plus universellement lisibles ?
Si on regarde le site Empiempi, l’utilisation de la typographie Bulevard en majuscule apporte un effet de style mais complexifie grandement la lecture.
De l’autre côté, Sofinnova partners mise sur une belle typographie tout en gardant une belle lisibilité.
3 - Personnalisation à gogo
La nostalgie est un sentiment universel et sur lequel de plus en plus de designers jouent. Notre âme d’enfant aime être aux manettes et jouer. L’interactivité d’un service numérique est alors de plus en plus creusée. En tant qu’utilisateur, en modifiant le service numérique sur lequel nous sommes, on y ajoute notre personnalité et notre singularité. Le site de Praticable (Anciennement le collectif Bam) nous propose de façonner notre propre parcours et ordonner les contenus comme bon nous semble. Ne serait-ce pas dans cette voie que l’on viendrait à modeler la parfaite expérience utilisateur — la sienne ?
Personnaliser peut aussi limiter les impacts.
De plus en plus de sites web nous invitent à choisir le mode que l’on souhaite : mode sombre, moins énergivore, ou davantage contrasté… L’utilisateur a de plus en plus la main. Et dans le cadre d’une éco-conception, on peut tout à fait afficher par défaut le mode « frugal » et donner la possibilité à l’utilisateur de le changer. C’est le parti-pris du site corporate du groupe Accor. Chez fruggr, la personnalisation de nos interfaces est également pour nous une manière de s’adapter au confort de travail de chacun. Interactivité n’est pas incompatible avec frugalité, suffit juste de trouver le bon dosage.
4 - Science-fiction et rêveries retro-futuristes
Univers gaming, campagne digne d’une sortie Marvel et précision chirurgicale de la 3D, les designers veulent nous sortir de notre réalité pour nous plonger dans des mondes improbables. Nous sommes dans l’ère où les technophiles idolâtrent la réalité augmentée, les métavers, les intelligences artificielles et autres folies numériques. De ces rêveries futuristes, les créatifs extrapolent de leurs cerveaux bouillonnants des designs imaginant notre futur. C’est le cas des sites de Cash App et d’Ever qui nous renvoient 3D et autoplay à gogo pour nous vendre de l’hyperconsommation et une smart city.
On vient faire du show pour des besoins qui n’en sont pas vraiment, créés artificiellement ou dont les bénéfices environnementaux sont parfois qu’une façade. N’oublions pas que dans la majorité des cas, ces extravagances d’animations nuisent à la performance de chargement, la lisibilité de l'information, son accessibilité et sa compatibilité sur la plupart des écrans mobiles. En clair, l’effet waouh vient plus contrer une bonne expérience utilisateur que la soigner.
De l’autre côté, les adeptes de Windows 1.0 réinventent le numérique des années 80 et 90 pour reconstruire des interfaces efficaces et modernes. Foncièrement influencés par des univers gaming, on retrouve des designs colorés et sobres, mettant plus l’accent sur des typographies et des icônes pixellisées. Le site de l’agence Things en est une belle représentation.
Le site de l’agence DeuxFleurs joue sur la mode des dessins ASCII (American Standard Code for Information Interchange) réalisés avec des lettres et caractères spéciaux. Old school vibes, le site a aussi l’avantage d’être très léger, animé et facilement navigable.
Conclusion
Créer en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux actuels est un challenge auquel nous ne pouvons échapper. Celui-ci est beau et pousse la réflexion design du l_ess is more_ sur le devant de la scène. Mais savoir être sobre ne signifie en rien être moche ou pauvre, la couleur, le dessin, les formes rien n'est interdit et tout est possible si cela sert l'expérience, l'émotion et ne dessert pas l'impact.
Alors à vos tablettes, souris, trackpad et pinceaux, le design de demain se dessine aujourd'hui !