1. Rencontre intercontinentale entre deux experts du numérique
Martin Deron : Explorer les chemins de transition au Québec
Martin Deron est responsable des travaux à l'intersection numérique / environnement, volet que l'on appelle "le défi numérique" au sein du projet Chemins de transition de l'Université de Montréal. Son équipe et lui ont rassemblé plus de 1000 participants au travers de trois défis afin de développer une méthode inspirée des démarches prospectives :
- Imaginer des futurs possibles autour de la convergence entre la transition numérique et la transition socio-écologique au Québec.
- Organiser des ateliers collectifs pour identifier parmi le spectre des futurs possibles les éléments clés d'un futur qui est à la fois soutenable et inspirant.
- Concevoir une trajectoire pour nous y rendre collectivement en seulement 20 ans (à l'horizon 2040).
Chemins de transition se concentre sur des résultats tangibles, mettant l'accent sur l'accessibilité, les usages collectifs et la redéfinition sociale et normative du numérique. Au sein de ce projet de "mobilisation et partage de connaissances" l’équipe mobilise des connaissances issues de différentes sphères de savoirs (académiques, professionnelles, citoyennes) pour les rassembler et les faire dialoguer afin de les rendre appropriables et utiles pour outiller les acteurs du changement (citoyen.nes, société civile, entreprises, institutions de recherche et d'enseignement, administration publique, milieux financiers) de façon systémique et coordonnée.
Martin Ragot : Vers un numérique responsable d'ici 2040
En tant que chercheur en sciences cognitives à b<>com, Martin Ragot se concentre sur l'évolution du numérique vers une approche plus responsable d'ici 2040. Le projet de recherche qu'il a mené, de 2020 à 2023, en collaboration avec d'autres chercheurs, explore les leviers organisationnels, sociaux, sociétaux, psychologiques, économiques et juridiques pour façonner un numérique plus responsable. L’expert français collabore avec une équipe multidisciplinaire, intégrant anthropologues, philosophes, juristes et psychologues, avec une orientation claire vers le design. Le projet se décompose en trois phases : "Explorer", "Construire des outils" et "Se Projeter", cherchant à imaginer et à scénariser un futur numérique souhaitable. Il souligne ainsi l'importance des impacts sociaux dans leurs recherches, allant au-delà des considérations environnementales.
2. État des lieux et défis locaux
Martin Ragot décrit un paysage français en évolution avec des entreprises et des gouvernements s'engageant vers une numérisation responsable. Il met l'accent sur la nécessité d'une approche systémique et d'une prise de conscience mondiale. « Les français sont moteurs d’une prise de conscience croissante, passant du Green IT à une vision plus globale du Numérique Responsable », développe-t-il.
A contrario, le Québec et notamment son gouvernement se trouvent au début de l'exploration de ces enjeux, portés par une poignée d'acteurs dans le milieu académique (l’Université de Montréal, l'Université McGill , l'OBVIA, l'Université de Sherbrooke), la société civile (AGIT Québec, Les Shifters Montréal, Masse Critique, Équiterre), les entreprises d'économie sociale (Insertech). Si une feuille de route Numérique Responsable tend à être développée, elle n’a pas encore été totalement définie, la plupart des ministères s’inscrivant encore dans une dynamique de numérisation et d'accélération technologique. En parallèle, on observe qu’à l'échelle fédérale (soit le gouvernement du Canada) le sujet encore moins présent. Le Québec vient donc appuyer l’initiative, notamment grâce à un transfert important des questions liées au sujet depuis la France, sans doute grâce à la langue commune. Enfin, Martin Deron souligne le besoin de sensibiliser aux problématiques sociales et environnementales du numérique, et surtout la mise en place de lieux et de pratiques de délibération sur nos choix collectifs vis-à-vis de la numérisation de nos sociétés.
3. Actions pour une transition numérique responsable
De la province québécoise, Martin Deron nous propose des actions concrètes, notamment le reconditionnement des appareils en fin de vie, la mutualisation intersectorielle et l'écoconception. Il souligne l'importance d'engager toutes les entreprises, pas seulement celles du secteur tech. En écho à l'adoption de labels tels qu'Energy Star et EPEAT au Québec, il soulève des questions sur leur importance et met en garde contre le risque de greenwashing. C’est un appel à une vigilance accrue lors de la mise en œuvre de ces normes.
Martin Ragot recommande des étapes progressives, de la sensibilisation à l'opérationnalisation, et encourage une vision inclusive de l'avenir du Numérique Responsable, impliquant le plus grand nombre, des décideurs, aux citoyens et utilisateurs en passant par les organisations et entreprises. Notre expert français souhaite voir un élan autour du développement de standards clairs et partagés en France.
En dépit de contextes locaux distincts, les deux chercheurs s’accordent à souligner l'importance de l'engagement collaboratif et d'une vision à long terme pour le numérique responsable. Tandis que le Québec se concentre sur la sensibilisation et la mobilisation des acteurs, la France évolue vers une vision plus holistique, intégrant une diversité d'acteurs et d'approches.
Cette interview approfondie avec Martin Deron et Martin Ragot offre une vision éclairante sur les enjeux et les opportunités liés au numérique responsable, contribuant ainsi à façonner un avenir numérique durable et inclusif. Fruggr explore au quotidien ces thèmes, et s’engage à partager des perspectives pour inspirer une action collective vers un monde numérique plus responsable.